La prosopagnosie
Pourquoi je ne reconnais pas les visages ?
La prosopagnosie est un trouble qui touche plus de personnes qu’on ne le pense mais lorsqu’on le vit, on se sent seul au monde ! Des phrases comme « mais tu me reconnais pas ? » ou « bah alors, t’es dans la lune ? » ou « ah bah çà fait plaisir ! Tu me reconnais même pas ! » deviennent un quotidien et le pire est que l’on ne sait pas quoi dire aux personnes, si ce n’est « désolée, je pensais à autre chose et je ne t’ai pas vu » parce que c’est la phrase qui passera le mieux, alors qu’on sait très bien que l’on a vu la personne mais que le « tilt » ne s’est pas fait dans notre tête …
Combien de fois cela m’est arrivé de parler avec une personne et de m’apercevoir à sa mine déconfite que j’avais visiblement confondu avec une autre personne ? Ou encore d’échanger avec une personne venue me voir à la fin d’une conférence et de la quitter après quelques minutes certaine de … ne pas savoir qui elle était ! Ennuyeux n’est ce pas ? Bien sûr, il peut arriver à tout le monde de ne pas reconnaître un visage de temps à autre. Cependant, si le problème est récurrent depuis toujours, malgré tout vos efforts pour tenter de mémoriser les visages, il y a peut être une explication neurologique : La prosopagnosie
Qu’est ce que la Prosopagnosie ?
Il s’agit d’une difficulté à reconnaître les visages. Je dis bien des visages et non des objets. Explication … nous avons 2 systèmes de mémorisation différents : un système de mémorisation relatif aux objets / aux choses inanimées, et un système spécifique à la reconnaissance des visages.
Cette capacité est présente en nous dès la naissance, comme un potentiel à developper, avec les contacts sociaux. En effet, un enfant ayant une sociabilité dite « normale » et avec des échanges sociaux réguliers (famille, école, activités extra scolaires, …) va alors développer ce potentiel et son mécanisme de mémorisation des visages et le conserver toute sa vie ….
Mais ce potentiel ne peut évoluer que jusqu’à l’âge de 12 ans environ, au delà il se fige. Si cette partie du cerveau de l’enfant n’est pas stimulée, il se peut qu’il ait alors des difficultés à reconnaître les visages et ait alors une prosopagnosie développementale.
Ainsi, si vous avez un enfant qui semble rencontrer des difficultés, il sera bon de l’emmener voir un neurologue qui pourra l’aider à stimuler cette partie de son cerveau. Ensuite, il n’y a plus d’évolution possible.
Par ailleurs, une prosopagnosie peut également apparaître suite à une lésion cérébrale dans cette région du cerveau (ex : suite à un accident). Enfin, notons que le champ de la prosopagnosie est vaste, pouvant aller d’une difficulté de reconnaissance des visages peu ou pas connus, à une impossibilité de reconnaître les membres de sa famille et voire même la possibilité de confondre des visages et des objets dans les cas les plus sévères. Dans tous les cas, il n’y a rien à faire, si ce n’est s’adapter …
Dans mon cas, je ne reconnais pas les visages. Je mémorise un ensemble de détails du visage que je ne parviens pas à maintenir ensemble. Quand la personne n'est plus dans mon champ de vision, au fil des minutes et des heures, le visage mémorisé se décompose par morceaux ... J’ai également beaucoup de mal à faire un lien entre une personne face à moi et une photo. Il m’est souvent arrivé de demander qui était une personne sur une photo et de m’entendre dire par la personne face à moi qu’il s’agissait évidemment d’elle ! Idem pour reconnaître une personne lors d'un RDV à partir d'une photo ... mission impossible !
La prosopagnosie : Déficience ou particularité ?
Tout dépend de votre point de vue ! Certes la prosopagnosie indique qu’une partie de votre cerveau ne s’est pas développé comme elle aurait due, mais cela signifie t il pour autant que vous êtes handicapé ? Déficient ? Comme toujours, la nature compense … Quand on est prosopagnosique, les visages des personnes sont une somme incalculables de photos que nous devons mémoriser. La position du visage, l’expression du visage, les différentes parties du visage sont des informations que l’on va mémoriser une à une, au fil du temps.
Par exemple, si je vois une personne que je connais mais qu’au moment où je la regarde son visage à une expression que je n’ai pas vue et mémorisée, alors je ne la reconnais tout simplement pas ! Il faudra qu’elle change de visage ou que son visage soit incliné différemment pour que, en quelques sortes, il y ait un « match » entre ce que je vois et les millions de photos d’elle que j’ai dans ma bibliothèque de visages….
Mon expérience : Un travail de mémorisation et de restitution très fatiguant au quotidien et sans fin car plus le temps passe, plus je rencontre de personnes et plus je dois rajouter de fichiers dans ma bibliothèque … Mais, comme j’ai dû compenser cette « particularité », je suis très attentive et je mémorise des quantités très importantes d’informations verbales (tout ce qu’elle me dit me servira de point de repère quand je la reverrai pour me souvenir de qui il s’agit) et non verbales sur chaque personne rencontrée (bijoux, mains, oreilles, signes distinctifs, … mais aussi mouvements du corps).
Savez vous que nous avons tous une façon unique de nous déplacer ? De déporter le poids de notre corps sur son axe ? Je peux reconnaître une personne que je ne connais pas personnellement à la terrasse d’un café juste à sa façon de marcher ou au galbe de ses jambes mais je peux croiser dans la rue une personne avec qui j’ai échangé quelques heures avant et ne pas la reconnaître !
Grâce (ou à cause) de cette particularité, comme tous les prosopagnosiques je pense, j’ai développé des stratégies et ai développé d’autres sens qui me permettent de rendre cette particularité souvent mal comprise et acceptée, quasiment invisible ! C’est drôle !
Maintenant que j’ai été diagnostiquée et que je peux expliquer aux personnes cette particularité en ne me cachant plus derrière le fait que je vois beaucoup de monde dans mon travail, les personnes semblent refuser de considérer cette particularité, préférant de pas entendre et me retourner un poli « oh mais de toutes façons c’est normal avec tout le monde que vous voyez ! Moi non plus je ne pourrais pas me souvenir de tout le monde » …
Or, la prosopagnosie n’a rien à voir avec le fait de ne pas être très physionomiste ! Alors je souris et je continue ma vie … après tout, l’essentiel est que moi je le sache …
La prosopagnosie est-elle rare ?
Pas si rare je pense mais souvent invisible car le prosopagnosique s’adapte, d’autant que le champ de la prosopagnosie est vaste, comme évoqué plus haut. Certaines personnes bien connues du grand public sont concernées : Thierry Lhermitte, Brad Pitt, Philippe Vandel, et bien d’autres ! Mais une expérience vécue il y a quelques temps m’a encore plus étonnée ! J’ai eu la chance de rencontrer un groupe de personnes autistes asperger à plusieurs reprises. J’étais alors en pleine recherche intérieure et en train de passer divers examens médicaux et tests ….
Depuis, ces tests m’ont permis de savoir que j’étais une personne à haut potentiel intellectuel (autrement dit, surdouée) et que j’avais une prosopagnosie développementale. J’attends les derniers résultats à présent sur les troubles du spectre autistique … Or, dans ce groupe, j’ai eu la surprise de constater que la majorité des personnes étaient à la fois surdouées, mais aussi prosopagnosiques et autistes asperger. Il y aurait donc une corrélation ? C’est grâce à une conversation récente avec un grand spécialiste de la question de la prosopagnosie, le neuropsychologue Thomas Busigny, que j’ai pu confirmer le diagnostique établi et mieux comprendre …
Comme indiqué précédemment, nos capacités de reconnaissance des visages sont un potentiel qui se développe et se consolide entre 6 ans et 12 ans. Pour cela, il faut que cette partie de notre cerveau soit stimulée et qu’il y ait donc des interactions sociales et que nous soyons soumis à un grand nombre de visages différents. Or, un enfant autiste évite les échanges de regards et les échanges tout court.
Cette région cérébrale est donc peu stimulée et la prosopagnosie s’installe … mais grâce à sa grande intelligence (surdouance dans le cas de l'autiste asperger), il va developper toutes ses autres capacités de mémorisation et établir des stratégies afin de s’adapter et rendre invisible sa prosopagnosie tout comme ses troubles autistiques.
On le sait à présent, le syndrome asperger (autisme de haut niveau intellectuel) est quasiment invisible chez la femme qui est souvent diagnostiquée très tardivement, en raison de sa grande adaptabilité qui lui permet de masquer ses troubles autistiques …. Même si cela est au prix de bien des souffrances …
A quoi sert le diagnostic de la prosopagnosie ?
Comme je vous l’ai dit, une fois adulte, il n’y a rien qui puisse être fait pour changer les capacités cérébrales mais il est possible de trouver des moyens de mieux vous adapter et compenser. Si vous êtes un zèbre, vous avez sans doute déjà développé toutes les astuces possibles mais un professionnel pourra peut être vous aider à en trouver d’autres ou encore vous aider à gérer le stress et la culpabilité souvent relié à la prosopagnosie. Combien de fois ai je dû entendre que je n’étais pas physionomiste ? Que je ne me concentrais pas assez ?
Que si je ne me souvenais pas de cette personne, c’est que je me moquais bien d’elle ? ON sait bien que cela n’est pas vrai, mais quand on ne sais pas quelle est l’explication à donner et bien on culpabilise et on se tait … Faire la démarche du diagnostique ne changera pas votre vie et vos difficultés, mais vous permettra de poser un mot sur ce phénomène et ainsi de vous libérer car vous saurez alors que ce n’est pas votre faute. Que vous n’êtes pas idiot, mais que vous avez un fonctionnement cérébral différent de la moyenne, avec une autre forme d’intelligence … et cela c’est une force !
Les démarches à faire
Vous vous reconnaissez dans ces lignes et souhaiteriez en savoir plus ? Vous pouvez commencer à en parler avec votre médecin qui pourra alors vous mettre en lien avec le service concerné (les gnosies) du CHU le plus proche. Attention ! Le nombre de spécialistes en prosopagnosie se comptent sur les doigts d’une main donc armez-vous de patience pour les RDV et n’hésitez pas à vous déplacer si besoin. Si vous êtes en région toulousaine, vous pouvez me contacter, je vous donnerai des coordonnées et la marche à suivre.
Quelques références
Références que je vous recommande : -livre «l’homme qui prenait sa femme pour fin chapeau » de Oliver Sacks (et ses autres ouvrages) , -ouvrages et articles de Thomas Busigny, -autres articles sur internet (en anglais essentiellement).
"Une grande pensée pleine de lumière à tous les prosopagnosiques diagnostiqués et ceux qui s'ignorent" ! Laurène